Langue berbère et TIC : Projets d’étude et de recherche
Kamal Naït-Zerrad (Inalco/Lacnad-Crb)
Les TIC (technologies de l'information et de la communication) sont aujourd'hui une des clés pour la sauvegarde, la diffusion, la connaissance et la visibilité des langues minoritaires et/ou minorisées. Plusieurs actions peuvent être menées dans ce cadre, que ce soit au niveau scientifique ou destinées à un plus large public. Pour le berbère, nous passerons en revue quelques idées de réalisations s'appuyant sur les TIC, en exposant d'abord les préalables à l'informatisation de la langue. Nous n'évoquerons pas ici le traitement automatique de la langue et ses applications, domaine de la linguistique informatique.
Préalables à l'emploi des TIC
- la nécessité d'une norme linguistique : il faut opter pour un alphabet et pour un système d'écriture stable se basant sur des règles d'orthographe et de grammaire.
- l'existence de polices de caractères : après la période de bricolage des polices existantes, est apparu le standard Unicode, où chaque caractère est codé de manière univoque. Unicode a - en tout cas pour l'écriture berbère à base latine - résolu le problème des caractères spéciaux de l'alphabet, d'autant que plusieurs polices sont maintenant téléchargeables gratuitement. Quant aux tifinagh, la plupart des caractères vient d'être codée dans le standard Unicode et des polices de caractères ont été créées.
- le clavier : Tous ceux qui écrivent en berbère se souviennent de la gymnastique qu'il fallait opérer pour écrire les caractères berbères. Aujourd'hui, une des meilleures solutions - en l'absence de clavier berbère physique - consiste en la création d'un clavier virtuel que l'on intègre dans le système d'exploitation de l'ordinateur (PC ou MAC). Les caractères spéciaux sont affectés à une combinaison de touches attribuée de façon à être facilement mémorisable. Un même clavier permet d'écrire plusieurs langues dans un même document et il est utilisable par n'importe quel logiciel ou programme installé sur l'ordinateur.
Programme
Nous proposerons une ébauche de programme général de projets, tous aussi importants les uns que les autres mais que l'on peut hiérarchiser selon les moyens disponibles. L'idéal serait qu'un réseau d'institutions européennes et africaines prenne en charge ces projets, vitaux pour la sauvegarde et le développement du berbère.
1. Diffusion sur le web : interface et contenus en berbère
La situation du berbère sur Internet est encore embryonnaire. Comme cette langue n'est encore reconnue nulle part comme langue officielle, aucun navigateur ou programme de traitement de texte n'est commercialisé avec une interface dans une des variétés berbères. Certains sites libres, associatifs ou culturels, commencent cependant à avoir des contenus et même une interface en berbère : par exemple, pour le kabyle, l'encyclopédie Wikipedia ou le site www.imyura.net. Au Maroc, le site institutionnel de l'Ircam (www.ircam.ma) propose une version en berbère.
2. Enseignement à distance
Pour des langues dans le système académique européen comme le berbère, la solution du e-learning semble prometteuse. Elle permet de pallier le manque de ressources, elle compense la relative faiblesse numérique des effectifs en rassemblant des étudiants dispersés n'importe où dans le monde et elle offre également une disponibilité plus importante.
3. Dictionnaire en ligne
Les dictionnaires berbères sont encore peu nombreux et partiels. En outre, ils ne sont pas à la portée de toutes les bourses et plus encore dans les pays berbérophones du sud de la méditerranée, où la diffusion est difficile. Ceux qui sont sur le marché (kabyle, berbère du Maroc central, touareg) sont tous bilingues, berbère - français. Il est donc indispensable de mettre en ligne un véritable dictionnaire - sur le modèle par exemple du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL, www.cnrtl.fr) - disponible pour tous, avec l'avantage de fixer l'orthographe.
4. Site de vocabulaire spécialisé traditionnel
Il s'agit de constituer des ressources lexicales électroniques spécialisées mises en ligne sur un site web. Outre le fait de fédérer les travaux de chercheurs géographiquement éloignés et son intérêt d'un point de vue scientifique, il facilitera la diffusion des connaissances mais également le travail sur la néologie et la terminologie, par exemple. Le site consistera en plusieurs sous-sites, chacun pour un domaine : botanique, toponymie, techniques, anthropologie, droit, ... Exemple de structure pour le sous-site « techniques » :
Langue :
Variété / sous-variété / tribu ou groupe/ parler ou village/ localisation (administrative)
Techniques :
Habitation, Construction / Apiculture / Tissage / Appareils, outils et machines : charrue, moulin, pressoir, tour,...
Habitation, Construction :
La maison / la tente / ...
La maison :
Table des éléments
constituant la maison
Illustrations :
Différentes parties de la maison / coupes /...
...
Tissage : ...
5. Corpus
L'intérêt des corpus n'est plus à démontrer : ils sont une source importante pour la connaissance de la langue : études linguistiques, littéraires et culturelles. On procèdera d'abord à la numérisation des textes et des manuscrits disponibles dans différents fonds et dont une toute petite partie a été publiée avant de passer à la constitution de nouveaux corpus dans des variétés peu documentées. Le format des données devra permettre la mise à disposition sur Internet des corpus pour leur exploitation électronique (corpus annotés et étiquetés).
6. Analyse critique des néologismes et propositions
Ce projet consiste à collecter l'ensemble des néologismes publiés et d'en faire une analyse critique. L'analyse des néologismes permet d'illustrer tous les éléments à prendre en compte dans ce type de création : la motivation, l'adéquation, la dérivabilité, l'acceptabilité, la maniabilité, la panberbérité, etc. On peut ainsi faire une évaluation des néologismes en décelant les conflits sémantiques, les erreurs, les calques étymologiques, etc. On pourra éventuellement proposer des alternatives. Pour cette étude, on commencera par le « lexique de berbère moderne (Amawal) » qui reste le premier travail important de néologie. Ce travail prendra la forme d'une base de données intégrant par exemple les éléments suivants :
Notion / Néologisme / Source / Racine / Morphologie / Type de néologisme / Origine dialectale / Sens / Commentaires / Propositions...